Par Christian Sabba Wilson, éditorialiste
L’Afrique, l’ordre et la liberté : pourquoi les Africains n’y arrivent pas ?
L’Afrique, continent de promesses et de paradoxes, demeure, en ce début de XXIe siècle, confrontée à une question fondamentale : pourquoi l’ordre et la liberté, piliers de toute société prospère, semblent-ils si difficiles à concilier et à instaurer durablement sur le continent ? Pourquoi tant de peuples africains continuent-ils de subir la loi de dirigeants qui échappent à tout contrôle citoyen, alors que partout ailleurs, la reddition de comptes est la norme et non l’exception ?
Le citoyen africain, oublié du contrat social
Le drame africain n’est pas tant l’absence de ressources ou de talents, mais la persistance d’un système où l’homme africain est trop souvent nié dans sa dignité, dans ses droits, dans sa capacité à exiger des comptes à ceux qui gouvernent en son nom. L’ordre, dans de nombreux États, se confond avec l’autoritarisme, la répression et la peur, tandis que la liberté reste un slogan creux, vidé de sa substance par la censure, l’arbitraire et la violence institutionnelle.
Le citoyen africain, réduit au silence, privé de ses droits fondamentaux, n’est pas considéré comme un acteur central du développement, mais comme un sujet à surveiller, à contrôler, parfois à réprimer. Cette négation de l’homme africain est le véritable obstacle à l’émergence du continent.
L’impunité du pouvoir, poison de la démocratie
La spécificité africaine ne saurait être de permettre à ses dirigeants de gouverner sans rendre de comptes. Pourtant, dans trop de pays, l’impunité est la règle. Les dirigeants confondent l’État avec leur patrimoine personnel, pillent les ressources, étouffent la presse, manipulent les institutions, empêchent l’alternance et musèlent l’opposition. Cette culture de l’irresponsabilité alimente la corruption, la gabegie, la fuite des cerveaux, le désespoir de la jeunesse.
Or, une démocratie sans exigence de transparence et de reddition de comptes n’est qu’une façade. L’Afrique ne peut plus être le seul continent où l’on gouverne dans l’opacité, où les citoyens n’osent pas demander des comptes, où la peur remplace le débat public.
Rendre des comptes : condition de l’ordre et de la liberté
L’ordre véritable n’est pas la soumission aveugle à l’autorité, mais le respect de règles justes, acceptées par tous, qui garantissent la sécurité et la dignité de chacun. La liberté n’est pas l’anarchie, mais la capacité de chaque citoyen à s’exprimer, à choisir, à participer à la vie publique sans crainte de représailles.
Pour que l’Afrique avance, il est urgent de réhabiliter la figure du citoyen, de reconnaître son droit inaliénable à demander des comptes à ses élus, à ses magistrats, à ses forces de sécurité. C’est la seule voie pour réconcilier ordre et liberté, pour restaurer la confiance entre gouvernants et gouvernés, pour bâtir des institutions solides et légitimes.
Vers un essor économique et social durable
L’exigence de reddition de comptes n’est pas qu’un impératif moral ou politique : c’est aussi la clé de l’essor économique. Là où les dirigeants savent qu’ils devront répondre de leurs actes, la corruption recule, la gestion publique s’améliore, les investisseurs reviennent, l’innovation prospère. Là où règnent la transparence et la justice, l’éducation, la santé, l’emploi progressent.
L’Afrique regorge de potentialités inexploitées, de jeunes talents, d’initiatives citoyennes. Mais sans un État de droit, sans institutions responsables, sans une société civile forte et respectée, toutes les stratégies de développement resteront vaines.
Conclusion : Respecter l’homme africain, fondement du renouveau
Il est temps de respecter l’homme africain, de lui restituer sa place dans la cité, de lui garantir le droit de demander des comptes à ses dirigeants, comme cela se fait ailleurs. L’Afrique ne saurait être condamnée à l’exception autoritaire. Elle a le droit, et le devoir, de rejoindre le concert des nations où l’ordre et la liberté marchent ensemble, au service du bien commun.
Ce n’est qu’à ce prix que le continent pourra tourner la page de la gabegie, de la corruption et de l’injustice, et offrir à ses enfants un avenir digne de leurs rêves.