Armée française en Afrique : Nouvelle ère après le retrait du Sénégal ? Enjeux, bilans et perspectives pour la coopération sécuritaire

Introduction

En juillet 2025, une page s’est tournée : la cérémonie officielle du retrait des derniers soldats français du Sénégal, pays symbole de la présence militaire française en Afrique de l’Ouest, a marqué la fin d’une époque. Après près de 60 ans de coopération et d’opérations conjointes, la France réorganise en profondeur sa stratégie sur le continent, répondant à la fois à la montée des contestations africaines et à une redéfinition de ses priorités diplomatiques et sécuritaires. Cette transition marque-t-elle le début d’une « nouvelle ère africaine » ou traduit-elle plutôt un recul de l’influence hexagonale en Afrique face à la concurrence de nouvelles puissances ? Quels bilans tirer, et quelles perspectives dessiner pour l’Afrique, la France et les acteurs régionaux ?

Le retrait du Sénégal : symbole ou tournant stratégique ?

Le Sénégal, allié historique, abritait jusqu’alors la principale base française sur la façade atlantique et servait de pivot régional pour les opérations Barkhane et Sabre au Sahel. La fermeture de la base de Dakar s’est faite dans un contexte très différent des années précédentes :

  • Montée des discours souverainistes africains : plusieurs chefs d’États réclament depuis 2023 « la fin des bases étrangères » et la préférence donnée à la coopération Sud-Sud.
  • Pression populaire : manifestations sporadiques contre la présence militaire, relayées par des mouvements citoyens et la « nouvelle génération » décoloniale africaine.
  • Alternance diplomatique française : Sous la pression d’une opinion publique lassée des « guerres lointaines », Paris opère une « baisse de voilure » et mise désormais sur des partenariats « à la demande », fondés sur la formation, l’appui logistique et le partage de renseignement, et non plus sur la projection massive de troupes.

Un bilan contrasté des interventions françaises

  • Succès en matière de formation et de montée en capacité des Forces de défense africaines : la France a formé des milliers d’officiers, aidé à la constitution d’armées nationales dans la sous-région et accompagné de nombreux projets de défense civile.
  • Contestation sur les résultats sécuritaires : la lutte contre le terrorisme au Sahel stagne ou régresse (Mali, Niger, Burkina Faso), les forces jihadistes se déplacent, s’adaptent, certains territoires ruraux échappant désormais à tout contrôle étatique.
  • Coopération élargie mais concurrencée : montée en puissance de la Russie (Wagner et nouvelles sociétés militaires privées), de la Turquie, de la Chine et – dans une moindre mesure – des États-Unis, qui cherchent chacun à s’imposer comme partenaires alternatifs.

Des transitions sécuritaires encore fragiles

Le retrait du Sénégal s’accompagne d’une promesse de « nouveaux modèles » :

  • Bases partagées et forces de réaction rapide : la France privilégie désormais l’ancrage discret (forces spéciales, missions de conseil, appui aérien ponctuel).
  • Intégration régionale : soutien accru à la CEDEAO, à l’Union africaine et à la consolidation d’alliances multilatérales africaines (G5 Sahel, Accra Initiative, Forum de Lomé).
  • Diplomatie militaire « plus horizontale » : Paris met en avant la coproduction d’armements, la formation croisée, et la participation de cadres africains à la gestion stratégique.

Quels impacts pour l’Afrique ?

Pour de nombreux observateurs, la recomposition de la présence militaire française correspond avant tout à une nouvelle étape d’émancipation africaine… à condition que la consolidation des outils de sécurité locaux suive :

  • Défis de la professionnalisation : malgré les progrès, nombre d’armées africaines sont encore minées par la corruption, le manque d’équipement, la porosité aux groupes armés et le manque de légitimité populaire.
  • Crainte d’un vide sécuritaire : le défi pour Dakar, Abidjan ou Bamako sera d’éviter que le retrait des forces françaises ne laisse place à des puissances concurrentes sans plus de garanties démocratiques ou éthiques.
  • Éveil d’une conscience panafricaine : le débat sur la souveraineté militaire et la production locale de la sécurité s’affiche désormais ouvertement dans les médias, les universités et la société civile.

Vers de nouveaux équilibres ?

Face à la pression internationale, aux défis sécuritaires djihadistes, migratoires et à la rivalité des puissances, le modèle post-2025 sera-t-il plus africain, plus multilatéral, ou simplement plus morcelé ?

  • La France tente de conserver son influence, mais réoriente prioritairement vers les industries stratégiques, le renseignement et la formation de l’élite africaine.
  • Les États africains, quant à eux, multiplient les alliances, diversifient leurs soutiens (Russie, Chine, Turquie), tout en cherchant à éviter la reconstitution de nouvelles formes de dépendance.

Conclusion

La fin de la présence française massive au Sénégal incarne bien davantage qu’un virage logistique : c’est un laboratoire pour l’avenir des rapports Afrique–Europe, une opportunité pour l’autonomie continentale, mais aussi un test pour la sécurité régionale au cœur d’une Afrique en pleine mutation géopolitique et sociale.

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