Introduction
Le 28 mai 2025, la disparition de Ngugi wa Thiong’o a suscité une vague d’émotion et d’hommages à travers toute l’Afrique et au-delà. Icône de la littérature africaine, militant de la décolonisation des esprits et des langues, Ngugi a marqué des générations par son engagement, son œuvre prolifique et son courage face à la répression. Son parcours, jalonné par la prison, l’exil et la résistance intellectuelle, incarne la lutte pour la liberté et la dignité en Afrique. Retour sur l’héritage d’un géant, et sur la portée de son combat pour la justice, la langue et la mémoire.
Un écrivain engagé, une vie de luttes
Né en 1937 dans une famille modeste du Kenya colonial, Ngugi wa Thiong’o a grandi dans un contexte de violence, de dépossession et de lutte pour l’indépendance. Très tôt, il choisit la littérature comme arme pour dénoncer les injustices, raconter l’histoire des siens et interroger le destin de l’Afrique postcoloniale. Ses premiers romans, « Weep Not, Child » (1964) et « The River Between » (1965), peignent la société kenyane à la veille de l’indépendance, entre espoir et désillusion.
Mais c’est dans l’engagement politique et la critique du pouvoir que Ngugi s’affirme comme une figure à part. Il milite pour l’éducation populaire, la réforme agraire et la justice sociale, n’hésitant pas à s’opposer aux autorités, qu’elles soient coloniales ou issues de l’indépendance.
Prison et exil : le prix du courage
En 1977, Ngugi est arrêté et emprisonné sans procès par le régime de Daniel arap Moi, après la représentation de sa pièce « Ngaahika Ndeenda » (Je me marierai quand je voudrai), jugée subversive. Il passera près d’un an en détention, période durant laquelle il écrit, sur du papier toilette, le roman « Caitaani Mutharaba-Ini » (Le diable sur la croix), premier roman moderne en kikuyu.
Libéré mais sous surveillance, il choisit l’exil en 1982, d’abord au Royaume-Uni puis aux États-Unis, où il poursuit sa carrière d’écrivain, de professeur et de militant. Loin de son pays, il continue de dénoncer la corruption, l’oppression et la domination culturelle, tout en plaidant pour la renaissance des langues africaines.
La décolonisation des langues et des esprits
Ngugi wa Thiong’o restera dans l’histoire comme le chantre de la décolonisation linguistique. Dans son essai majeur « Decolonising the Mind » (1986), il affirme que la domination coloniale s’est perpétuée à travers l’imposition de la langue de l’oppresseur. Pour lui, écrire en kikuyu, swahili ou toute autre langue africaine, c’est résister à l’effacement, reconquérir l’imaginaire et rendre la parole aux peuples.
Ce combat, repris par de nombreux écrivains, enseignants et activistes, a contribué à la valorisation des cultures africaines et à la remise en question du modèle éducatif hérité de la colonisation.
Un héritage vivant
Ngugi laisse une œuvre immense : romans, pièces de théâtre, essais, mémoires, traduits dans plus de 30 langues. Il a influencé des générations d’auteurs africains, de Chimamanda Ngozi Adichie à Wole Soyinka, et inspiré des mouvements de libération culturelle sur tout le continent.
Son engagement pour la justice, la démocratie et l’égalité a fait de lui une référence pour les défenseurs des droits humains et les mouvements sociaux. En 2020, il avait été proposé pour le prix Nobel de littérature, symbole de la reconnaissance internationale de son œuvre.
Témoignages et hommages
- Jean-Pierre Orban, écrivain : « Ngugi a payé son courage par la prison, mais il n’a jamais renoncé à la liberté de penser et d’écrire. »
- Gouvernement kényan : Le président William Ruto a décrété un deuil national et promis de soutenir la traduction des œuvres de Ngugi dans toutes les langues nationales.
- Jeunesse africaine : Sur les réseaux sociaux, des milliers de jeunes partagent ses citations, ses livres et ses discours, rappelant l’actualité de son message.
Des universités, des associations et des institutions culturelles organisent des lectures publiques, des conférences et des ateliers pour célébrer son héritage et poursuivre son combat.
Les défis de la transmission
L’œuvre et le message de Ngugi interrogent l’Afrique contemporaine sur sa capacité à s’approprier son histoire, à défendre ses langues et à bâtir des sociétés inclusives. Les défis restent nombreux : domination des langues coloniales, accès inégal à l’éducation, censure, violences politiques.
Mais l’exemple de Ngugi montre qu’il est possible de résister, de créer et de transmettre, même dans l’adversité.
Conclusion
Ngugi wa Thiong’o a payé son courage par la prison, mais il a gagné l’estime et l’admiration de l’Afrique et du monde. Son héritage, fait de lucidité, de générosité et d’engagement, continuera d’inspirer celles et ceux qui croient en la liberté, en la dignité et en la puissance des mots.