Introduction : Un basculement historique
Depuis la fin de la Guerre froide, l’Europe a longtemps été considérée comme un pilier de l’ordre mondial, moteur de la coopération internationale, du commerce et du multilatéralisme. Mais au fil des années 2020, un basculement s’opère. L’influence européenne recule, tandis que l’Afrique et l’Asie multiplient les initiatives, les alliances et les stratégies pour défendre leurs intérêts, diversifier leurs partenariats et peser davantage sur la scène internationale. Ce mouvement, accéléré par la pandémie, la guerre en Ukraine, la montée du protectionnisme et la crise du multilatéralisme, bouleverse l’équilibre du monde.
Le recul de l’Europe : causes et manifestations
Fatigue stratégique et crise interne
L’Union européenne, confrontée à des défis internes majeurs – montée des populismes, crise migratoire, divergences économiques, Brexit – peine à parler d’une seule voix sur la scène internationale. L’élargissement à l’Est, censé renforcer le projet européen, a aussi accentué les fractures. La guerre en Ukraine a révélé la dépendance énergétique de l’Europe, sa vulnérabilité géopolitique et la difficulté à imposer une diplomatie unifiée.
Perte d’attractivité et concurrence globale
Sur le plan économique, l’Europe subit la concurrence de la Chine, des États-Unis et des économies émergentes. Sa part dans le commerce mondial diminue, ses champions industriels sont contestés, et son modèle social peine à s’imposer comme référence. Les sanctions, les droits de douane et la fragmentation des chaînes de valeur fragilisent encore davantage son influence.
L’érosion de la puissance normative
Longtemps, l’Europe a exercé une « puissance douce » par la diffusion de ses normes (droits humains, environnement, commerce équitable). Mais cette capacité d’influence s’effrite, contestée par des modèles alternatifs venus d’Asie (Chine, Inde, ASEAN) ou d’Afrique (Union africaine, CEDEAO). La multiplication des crises (Sahel, Méditerranée, Balkans) montre les limites de l’interventionnisme européen.
L’Afrique et l’Asie : affirmation de souveraineté et nouvelles alliances
L’Afrique, entre diversification et affirmation stratégique
L’Afrique a longtemps été perçue comme un terrain d’influence pour les puissances extérieures. Mais le continent affirme désormais sa souveraineté, refuse les ingérences et diversifie ses partenariats. La montée en puissance de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), la création de coalitions régionales (CEDEAO, SADC, EAC) et la diplomatie proactive de l’Union africaine témoignent d’une volonté de peser sur les dossiers mondiaux (climat, sécurité, commerce).
Les relations avec la Chine, l’Inde, la Turquie, la Russie ou les pays du Golfe offrent des alternatives aux partenariats traditionnels avec l’Europe. Les investissements chinois dans les infrastructures, les échanges Sud-Sud, la coopération technologique et militaire redessinent la carte des alliances.
L’Asie, moteur de la multipolarité
L’Asie, portée par la Chine et l’Inde, mais aussi par l’ASEAN, le Japon, la Corée du Sud ou l’Indonésie, est le théâtre d’une compétition stratégique et d’une intégration économique accélérée. L’Initiative « Belt and Road » (Nouvelles routes de la soie), les accords de libre-échange (RCEP), les forums régionaux (ASEAN, SCO) renforcent la capacité d’influence de l’Asie sur la scène mondiale.
La montée en puissance des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) incarne cette volonté de peser sur la gouvernance mondiale, de contester l’hégémonie occidentale et de promouvoir un ordre international plus équilibré.
Les nouvelles alliances : logiques, exemples et enjeux
Alliances économiques et commerciales
La multiplication des accords de libre-échange entre pays africains et asiatiques (par exemple, Maroc-Chine, Kenya-Inde, Afrique du Sud-ASEAN) témoigne d’un basculement des flux commerciaux. Les investissements directs asiatiques en Afrique explosent, notamment dans les secteurs des infrastructures, de l’énergie, du numérique et de l’agro-industrie.
Coopération sécuritaire et technologique
Face à la montée des menaces (terrorisme, cyberattaques, piraterie), l’Afrique et l’Asie développent des partenariats en matière de défense, de renseignement et de cybersécurité. La Russie, la Chine, la Turquie proposent des alternatives aux équipements occidentaux, tandis que l’Inde et la Corée du Sud investissent dans la formation et le transfert de technologies.
Diplomatie et soft power
Les échanges culturels, universitaires et scientifiques se multiplient, favorisant la circulation des élites et la diffusion de modèles alternatifs. Les médias, les réseaux sociaux et les plateformes numériques asiatiques (WeChat, TikTok) concurrencent l’influence occidentale, tandis que les diasporas jouent un rôle croissant dans la diplomatie économique.
Conséquences pour l’équilibre du monde
Vers un monde multipolaire
Le recul de l’Europe et la montée de l’Afrique et de l’Asie accélèrent la transition vers un monde multipolaire. Les rapports de force se diversifient, les coalitions sont plus fluides, et aucun acteur ne peut plus imposer seul ses règles. Cette multipolarité offre des marges de manœuvre aux pays du Sud, mais accroît aussi la complexité des négociations internationales.
Nouveaux arbitrages et rivalités régionales
La compétition pour l’accès aux ressources (énergie, eau, terres rares), la maîtrise des routes maritimes et la conquête des marchés émergents alimentent de nouvelles rivalités. Les alliances ne sont plus idéologiques, mais pragmatiques, fondées sur les intérêts économiques, sécuritaires ou technologiques.
Redéfinition des institutions internationales
Face à la crise du multilatéralisme, l’Afrique et l’Asie réclament une réforme des institutions (ONU, FMI, Banque mondiale) pour mieux refléter la réalité des rapports de force. L’émergence de forums alternatifs (BRICS+, G20, Forum de la coopération sino-africaine) traduit cette volonté de peser sur la gouvernance mondiale.
Les défis de la nouvelle donne
Risques de fragmentation et d’instabilité
La multiplication des alliances et la remise en cause des règles du jeu international peuvent fragiliser la stabilité mondiale. Les risques de conflits régionaux, de guerres commerciales ou technologiques, de crises financières sont accrus. L’absence de leadership clair complique la gestion des crises globales (climat, santé, migrations).
Enjeux pour l’Afrique et l’Asie
Pour tirer parti de la nouvelle donne, l’Afrique et l’Asie doivent renforcer leur intégration régionale, investir dans l’éducation et l’innovation, et défendre leurs intérêts dans les négociations internationales. La solidarité Sud-Sud, la diplomatie économique et la capacité à proposer des solutions aux défis mondiaux seront déterminantes.
Conclusion : Un nouvel équilibre à inventer
Le recul de l’Europe et l’affirmation de l’Afrique et de l’Asie ouvrent une nouvelle ère. Loin d’être une menace, ce basculement peut être une opportunité pour construire un ordre mondial plus juste, plus inclusif et plus efficace. À condition que les nouveaux acteurs assument leurs responsabilités, que les institutions s’adaptent et que le dialogue l’emporte sur la confrontation.