Quarante ans après l’un des crimes politiques les plus marquants de la lutte anti-apartheid, l’Afrique du Sud rouvre le dossier des Cradock Four. Ce procès, attendu depuis des décennies, symbolise la quête inachevée de justice et de réconciliation nationale dans un pays encore marqué par les séquelles de son passé.
Retour sur un crime d’État
Le 27 juin 1985, Matthew Goniwe, Fort Calata, Sparrow Mkhonto et Sicelo Mhlauli, militants anti-apartheid et membres de l’Union nationale des enseignants africains (NEUSA), sont arrêtés par la police alors qu’ils rentraient à Cradock, dans la province du Cap-Oriental. Leurs corps mutilés sont retrouvés quelques jours plus tard, brûlés et criblés de balles. L’émotion est immense dans tout le pays : ces assassinats, orchestrés par le régime de l’apartheid, deviennent le symbole de la brutalité du pouvoir blanc et de la résistance noire.
Malgré la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) des années 1990, qui a permis de lever le voile sur de nombreux crimes, les familles des victimes n’ont jamais obtenu justice. Les responsables présumés, dont des membres de la police secrète, n’ont pas été poursuivis, invoquant l’amnistie ou profitant de l’inertie judiciaire.
Un procès sous le signe de la mémoire et de la justice
En 2025, sous la pression des familles, de la société civile et d’organisations comme la Fondation Nelson Mandela, la justice sud-africaine accepte enfin de rouvrir le dossier. Le procès s’ouvre à Makhanda (ex-Grahamstown), non loin de Cradock, en présence de nombreux survivants de la lutte anti-apartheid, de responsables politiques et de médias internationaux.
Pour la première fois, d’anciens policiers et agents du Bureau de la sécurité de l’État comparaissent pour enlèvement, torture et meurtre. Les témoignages poignants des familles rappellent la violence du régime et l’importance de la mémoire collective. Ce procès est aussi l’occasion de questionner les limites de la CVR, qui a souvent privilégié la réconciliation au détriment de la justice pénale.
Un enjeu pour la société sud-africaine
Au-delà du sort des accusés, ce procès interroge la capacité de l’Afrique du Sud à solder les comptes du passé. L’impunité persistante de nombreux crimes d’apartheid nourrit le ressentiment et fragilise la cohésion nationale. Les jeunes générations, confrontées à la pauvreté, au racisme et aux inégalités structurelles, réclament une justice réelle, gage de réconciliation authentique.
Le gouvernement sud-africain, par la voix du président Cyril Ramaphosa, affirme son engagement à faire toute la lumière sur les crimes du passé. Mais la société civile reste vigilante : pour beaucoup, la justice pour les Cradock Four doit ouvrir la voie à une nouvelle ère de responsabilité et de réparation.
Conclusion
Le procès des Cradock Four, quarante ans après leur assassinat, marque un tournant dans la lutte contre l’oubli et l’impunité en Afrique du Sud. Il rappelle que la mémoire et la justice sont indissociables pour construire une société plus juste et réconciliée.