Un virage stratégique pour le Kenya : le nucléaire au cœur de la Vision 2030
Le 26 mars 2025, le Kenya a franchi une étape historique en signant un mémorandum d’entente (MoU) avec la China Nuclear Engineering and Construction Corporation (CNECC), marquant le lancement officiel de son premier programme nucléaire civil. Ce partenariat, piloté par la Nuclear Power and Energy Agency (NuPEA), s’inscrit dans la stratégie Vision 2030 du pays, qui vise à transformer le Kenya en une économie émergente, résiliente et industrialisée. L’accord, validé par le Trésor et l’Attorney General, engage les deux nations à coopérer sur la recherche, l’innovation, le transfert de technologie et la formation de ressources humaines spécialisées, tout en respectant les standards de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)135.
Pourquoi le nucléaire ? Les défis énergétiques du Kenya
La demande d’électricité au Kenya croît de 7 à 10 % par an, portée par l’urbanisation, l’industrialisation et l’essor démographique. Malgré des avancées majeures dans les énergies renouvelables (géothermie, solaire, éolien), le pays reste exposé à de fréquentes coupures de courant et à une dépendance aux importations d’énergie lors des sécheresses ou des pics de consommation. Le nucléaire apparaît comme la solution idéale pour garantir une production stable, abondante et à faible émission carbone, tout en réduisant la dépendance aux énergies fossiles et en soutenant la croissance industrielle345.
Les contours de l’accord sino-kényan : innovation, transfert de compétences et régulation
L’accord signé avec CNECC prévoit la construction d’une centrale nucléaire de 1 000 MW, dont le chantier devrait démarrer dès 2027 pour une mise en service prévue à l’horizon 2034. Le projet s’appuie sur le « Milestones Approach » de l’AIEA, qui identifie 19 composantes essentielles pour le développement d’une infrastructure nucléaire durable : sélection du site, évaluation technologique, formation des ingénieurs, mise en place d’un cadre réglementaire robuste, éducation du public et gestion des déchets radioactifs135.
Un comité conjoint sino-kényan supervisera l’ensemble du projet afin d’assurer la conformité aux exigences réglementaires des deux pays et aux standards internationaux. La Chine s’engage à transférer son expertise technique, à former des ingénieurs kényans et à installer des laboratoires de recherche nucléaire à Nairobi. Le financement du projet, estimé à près de 5 milliards de dollars, sera assuré à 80 % par un prêt préférentiel de la Banque de développement de Chine, le reste provenant de fonds publics et privés kényans135.
Transformation du mix énergétique kényan : vers la neutralité carbone
L’intégration du nucléaire dans le mix énergétique kényan marque un tournant décisif. Actuellement, le pays tire 90 % de son électricité des énergies renouvelables, mais l’intermittence de ces sources limite la stabilité du réseau. Le nucléaire, en fournissant une base stable et prévisible, permettra d’accueillir davantage de renouvelables tout en garantissant la sécurité énergétique. À terme, le Kenya ambitionne de devenir le premier hub énergétique propre d’Afrique de l’Est, capable d’exporter de l’électricité vers ses voisins et d’attirer des industries à forte valeur ajoutée345.
Un projet structurant pour l’économie et l’emploi
La construction de la centrale nucléaire kényane générera des milliers d’emplois directs et indirects : ingénieurs, techniciens, ouvriers du bâtiment, experts en sûreté, logisticiens… L’accord prévoit également la création d’un écosystème industriel local, avec la sous-traitance de composants, la maintenance et la gestion des déchets. À long terme, la filière nucléaire kényane pourrait devenir un pôle d’excellence régional, exportant son savoir-faire et ses technologies vers d’autres pays africains désireux de suivre le même chemin.
Défis et controverses : sûreté, acceptabilité sociale et souveraineté
Si le projet suscite un large enthousiasme, il n’est pas exempt de défis :
- Sûreté nucléaire : Le Kenya doit renforcer son cadre réglementaire, former des inspecteurs indépendants et garantir la sécurité des installations face aux risques naturels (séismes, inondations) ou humains (cyberattaques, terrorisme).
- Gestion des déchets : Le stockage, le traitement et la surveillance des déchets radioactifs nécessitent des investissements lourds et une coopération internationale sur le long terme.
- Acceptabilité sociale : La réussite du projet dépendra de la capacité à informer, consulter et rassurer la population sur les bénéfices et les risques du nucléaire, en évitant les erreurs commises ailleurs.
- Souveraineté technologique : Bien que la Chine apporte son expertise, le Kenya doit veiller à ne pas tomber dans une dépendance excessive, en diversifiant ses partenariats (États-Unis, Russie, France) et en développant ses propres compétences nationales456.
Un enjeu géopolitique majeur : la Chine, nouveau leader du nucléaire africain
Le choix du Kenya de s’allier à la Chine pour son premier projet nucléaire s’inscrit dans la stratégie de Pékin de devenir le partenaire incontournable des infrastructures stratégiques africaines. Après l’Afrique du Sud, le Kenya sera le deuxième pays du continent à se doter d’une centrale nucléaire commerciale, renforçant l’influence chinoise face aux États-Unis, à la Russie et à l’Europe78. Ce partenariat s’accompagne d’un transfert de technologies, d’accords de formation et de la création de réseaux de coopération régionale, positionnant le Kenya comme un acteur clé de la transition énergétique africaine.
Perspectives et ambitions pour l’Afrique de l’Est
Le succès du projet nucléaire kényan pourrait faire école dans toute l’Afrique de l’Est, où la croissance démographique et industrielle exige des solutions énergétiques fiables et propres. L’Ouganda, la Tanzanie et l’Éthiopie suivent de près l’évolution du dossier kényan et pourraient, à terme, rejoindre le mouvement. Le Kenya, en pionnier, ambitionne de devenir le centre régional de formation, de recherche et d’innovation nucléaire, capable d’exporter son expertise et de contribuer à la stabilité énergétique du continent.
Conclusion
L’accord nucléaire entre le Kenya et la Chine marque un tournant historique pour l’indépendance énergétique du pays et la transformation de son économie. En misant sur le nucléaire, le Kenya s’affirme comme un leader africain de la transition énergétique, capable de concilier croissance, sécurité, souveraineté et développement durable. Les défis restent nombreux, mais la dynamique enclenchée ouvre la voie à une nouvelle ère pour l’Afrique de l’Est et pour le continent tout entier.