L’or du Ghana : richesse nationale, défi de la contrebande
Le Ghana, premier producteur d’or d’Afrique de l’Ouest, est confronté à un paradoxe : alors que le secteur aurifère génère plus de 15 milliards de dollars par an et soutient plus d’un million d’emplois directs, le pays perd chaque année près de 2 milliards de dollars à cause de la contrebande et des exportations illégales125. Ce fléau prive l’État de recettes fiscales cruciales, alimente des réseaux criminels et compromet le développement durable des communautés minières. Face à l’ampleur du phénomène, le gouvernement ghanéen a décidé d’innover radicalement : la blockchain sera désormais l’outil central pour tracer l’or, du puits artisanal jusqu’à l’exportation.
Un secteur artisanal vital mais difficile à contrôler
L’artisanat minier, ou ASGM (Artisanal and Small-Scale Gold Mining), représente plus de 35 % de la production totale d’or du Ghana et fait vivre, directement ou indirectement, plus de 5 millions de personnes67. Mais ce secteur, fragmenté et souvent informel, échappe en grande partie à la régulation. Les petits producteurs, dispersés sur tout le territoire, vendent fréquemment leur or à des intermédiaires non agréés, qui l’exportent via des circuits parallèles, souvent à destination de Dubaï, de l’Inde ou de la Chine. Cette chaîne opaque favorise l’évasion fiscale, la corruption et le blanchiment d’argent, tout en exposant les mineurs à des conditions de travail précaires et à la volatilité des prix.
L’innovation blockchain : transparence et traçabilité de bout en bout
Pour répondre à cette crise, le Ghana lance en 2025 un système national de traçabilité de l’or basé sur la blockchain, une première sur le continent12358. Le principe est simple mais révolutionnaire : chaque mineur agréé sera enregistré dans une base de données nationale, chaque lot d’or extrait recevra un identifiant numérique unique, et toutes les transactions – de l’extraction à la vente, du transport à l’exportation – seront inscrites instantanément sur une blockchain publique et inviolable.
« Le système actuel échoue. Avec cette nouvelle approche, chaque mineur licencié sera enregistré, chaque lot d’or aura un code digital unique, et chaque transaction sera suivie en temps réel sur la blockchain »
Ce dispositif permettra de garantir que tout l’or exporté par le Ghana provient de sources légales, respecte les normes environnementales et sociales, et bénéficie à l’économie nationale. Les acheteurs internationaux pourront vérifier l’origine de chaque gramme d’or, ce qui renforcera la confiance dans la filière et facilitera l’accès aux marchés premium.

Un projet de loi ambitieux et une nouvelle gouvernance du secteur
Le déploiement de la blockchain s’inscrit dans un projet de loi actuellement devant le Parlement ghanéen, qui prévoit la création d’un Gold Board doté de pouvoirs élargis235. Cette nouvelle institution sera chargée d’acheter tout l’or produit par les mineurs agréés, de fixer des prix transparents et compétitifs, et de centraliser les exportations. Le Gold Board aura également la mission de lutter activement contre la contrebande, avec la mise en place d’une force spéciale d’inspection, capable de mener des contrôles inopinés, de saisir les cargaisons illégales et de poursuivre les contrevenants en justice23.
L’objectif affiché est triple :
- Maximiser les recettes fiscales en éliminant les fuites et en assurant que chaque once d’or contribue au budget national ;
- Protéger les petits mineurs en leur offrant un accès direct au marché formel, des prix justes et des conditions de travail améliorées ;
- Stabiliser la monnaie nationale (le cedi) en augmentant les réserves d’or de la Banque centrale et en réduisant la dépendance aux devises étrangères2.
Premiers résultats et défis à relever
Des projets pilotes ont été lancés dans plusieurs communautés minières, avec des résultats jugés prometteurs par le gouvernement125. Les mineurs formés à l’utilisation des outils numériques constatent une amélioration de leurs revenus et une réduction des risques liés à la vente informelle. Les premiers lots d’or tracés sur la blockchain ont déjà été exportés avec succès, et les autorités espèrent généraliser le système d’ici la fin de l’année 2025.
Cependant, plusieurs défis subsistent :
- La formation et l’acceptation des mineurs : Beaucoup de petits exploitants, peu familiarisés avec le numérique, doivent être accompagnés pour adopter ces nouveaux outils.
- L’accès à l’infrastructure : L’équipement informatique, la connexion Internet et l’électricité restent inégaux dans les zones rurales.
- La lutte contre la fraude organisée : Les réseaux de contrebande disposent de moyens sophistiqués et pourraient tenter de contourner le système, notamment en falsifiant des identifiants ou en corrompant des agents locaux3.
Un impact économique, social et environnemental
Si la réforme aboutit, le Ghana pourrait récupérer jusqu’à 2 milliards de dollars de recettes annuelles aujourd’hui perdues, soit l’équivalent de plusieurs points de PIB et des ressources vitales pour financer l’éducation, la santé ou les infrastructures publiques. La formalisation du secteur artisanal facilitera aussi l’accès au crédit pour les mineurs, la bancarisation des revenus et la création de coopératives responsables.
Sur le plan environnemental, la traçabilité permettra de mieux contrôler l’usage du mercure, de limiter la déforestation et d’encourager les pratiques minières durables, en conformité avec les standards internationaux et les exigences des acheteurs éthiques.
Un modèle pour l’Afrique et au-delà
Le Ghana espère que son initiative inspirera d’autres pays africains confrontés à la même problématique, comme le Mali, le Burkina Faso ou la RDC. Le projet bénéficie du soutien de la Banque mondiale, de l’OCDE et d’investisseurs privés, convaincus que la technologie peut transformer la gouvernance des ressources naturelles sur le continent67.
La blockchain, déjà utilisée pour la traçabilité du cacao ou du bois dans certains pays, pourrait devenir un standard pour l’ensemble des matières premières stratégiques africaines.
Perspectives et enjeux futurs
La réussite du système blockchain dépendra de l’adoption massive par les acteurs du secteur, du renforcement des capacités institutionnelles et de la coopération entre les agences publiques, les communautés minières et les partenaires internationaux. Le Ghana, en se positionnant comme pionnier de la transparence minière, espère attirer de nouveaux investissements, renforcer la confiance des marchés et bâtir une économie plus résiliente et inclusive.
Conclusion
En adoptant la blockchain pour lutter contre la contrebande d’or, le Ghana fait le pari de la transparence, de la modernisation et de l’inclusion économique. Cette révolution technologique, si elle est menée à bien, pourrait transformer durablement le secteur minier, renforcer la souveraineté nationale et servir de référence à l’ensemble du continent africain.