Le 25 mai 2025, à l’issue des Assises nationales tenues à Ouagadougou, le Burkina Faso a officiellement adopté une nouvelle charte fixant la durée de la transition militaire à 60 mois, soit une prolongation de cinq années supplémentaires à compter du 2 juillet 2024. Cette décision marque une étape importante dans la gestion du pouvoir par la junte conduite par le capitaine Ibrahim Traoré, qui conserve ainsi la présidence avec le titre de « président du Faso » et chef suprême des armées. Ce choix suscite un débat intense sur les plans politique, social et sécuritaire, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
La genèse du prolongement
Initialement, la transition devait s’achever le 1er juillet 2024. Mais face à l’aggravation de la crise sécuritaire, aux attaques répétées des groupes jihadistes dans plusieurs régions, et à l’impossibilité d’organiser un scrutin libre et serein, les autorités militaires ont décidé de prolonger cette période exceptionnelle. Cette prolongation a été formalisée par une charte portée par le capitaine Traoré, qui bénéficie d’une légitimité renforcée par les résultats des Assises, même si la plupart des partis politiques traditionnels ont boycotté ces travaux, estimant être exclus du processus.
Un cadre institutionnel transformé
La nouvelle charte modifie les règles du jeu politique. Elle supprime notamment les quotas de représentation pour les partis politiques au sein de l’Assemblée législative de transition (ALT) et introduit le « patriotisme » comme critère principal d’appartenance à l’ALT et au gouvernement de transition. Cette notion vague de patriotisme soulève des inquiétudes quant à la pluralité et à la représentativité démocratiques, en dehors des cercles favorables à la junte.
Le capitaine Traoré est clairement positionné pour se présenter aux futures élections présidentielles, législatives et municipales, prévues à la fin de la transition, tout en continuant à exercer un contrôle exécutif fort.
Motifs avancés : stabilité et sécurité avant tout
Officiellement, la prolongation est justifiée par la nécessité impérieuse de rétablir la sécurité sur un territoire où les groupes armés jihadistes et criminels continuent de semer la mort, provoquant d’importants déplacements de population et la paralysie de nombreuses zones. Les autorités expliquent qu’il serait dangereux d’organiser une transition démocratique alors que la menace persiste, risquant d’entraîner chaos et déstabilisation.
Elles font ainsi appel à la patience de la population, affirmant que la sécurité et la reconstruction de l’Etat sont des préalables indispensables avant toute tenue d’élections crédibles.
Réactions contrastées au Burkina Faso
La prolongation suscite des débats passionnés. D’un côté, une partie de la société civile, des organisations pro-gouvernementales, et plusieurs citoyens allant dans ce sens, soutiennent la décision, estimant que la priorité doit rester à la lutte contre le terrorisme et à l’unité nationale.
De l’autre côté, les partis politiques traditionnels, exclus des Assises et de la gestion actuelle, dénoncent un verrouillage du pouvoir, une remise en cause du pluralisme et une dérive autoritaire. La jeunesse, très mobilisée depuis plusieurs années dans les contestations sociales, exprime à la fois un espoir de changement et une frustration grandissante face à cette prolongation, craignant la pérennisation d’un régime militaire.
Pressions et attentes internationales
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union africaine et les partenaires internationaux exhortent les autorités burkinabè à respecter les engagements de transition, à définir un calendrier électoral clair, et à veiller à l’inclusion de toutes les forces politiques. Ils soulignent l’importance de la tenue d’élections libres et transparentes le plus tôt possible pour éviter toute contestation.
Cette prolongation est aussi analysée dans le contexte général d’une montée des régimes militaires en Afrique de l’Ouest, où les transitions longues interrogent sur l’avenir démocratique de la région.
Enjeux futurs pour la gouvernance
La question centrale reste la légitimité du pouvoir issu de cette transition prolongée. Le critère de « patriotisme » sur lequel repose la représentation politique risque d’exclure les oppositions et d’affaiblir la démocratie.
Un autre enjeu est la capacité à concilier sécurité et respect des droits fondamentaux, notamment des libertés politiques et de la société civile.
Conclusion et perspectives
La prolongation de la transition au Burkina Faso est un choix crucial dans un contexte de crise sécuritaire majeure. Si elle permet potentiellement de stabiliser le pays, elle ouvre aussi la voie à des tensions politiques sur la représentation, la gouvernance et la durée du pouvoir militaire.
Le succès de cette transition repose sur la capacité du Burkina Faso à instaurer un dialogue inclusif, renforcer ses institutions et préparer un échéancier crédible pour le retour à un régime civil démocratique.